Je vous  propose un autre poème de 
Denis Arché sur les américains en Irak, qui devrait vous plaire à vous aussi.                
     
"Une charge poétique à dix dollars
Dans le parc municipal de nassyria en irak
des g.i. réparent des balançoires  des toboggans
dieu leur a donné des armes des gilets pare-balles des casques
des chewing 
gums
des ray ban des visages de soldats
des rires de soldats vainqueurs
mais dans cette chaleur de sable étouffante 
auprès de ces toboggans ces balançoires
qui se balançaient naguère doucement dans le soir tombant
dieu ne leur a pas dit comment réparer ces toboggans
comment réparer ces enfants comment 
faire lever un peu d’herbe verte
dans ce désert de sable 
dans le parc de nassirya
quand le soir descend et qu’un peu de vent invite à la rêverie
les soldats discutent avec des garçons
ils leur achètent du pepsi des poignards de l’armée irakienne
des photos de chanteuses des billets de banque périmés 
avec le portrait du dictateur que les g.i. ont chassé
et les jeunes garçons tournent autour d’eux
hey mister mister 
please
dans le parc de nassirya
des hommes traversent les vingt mètres qui les séparent des soldats 
ces vingt mètres ils les regardent depuis longtemps
ils sont assis sur un muret sur le trottoir ou debout
ils sont comme une grappe d’ombre que le soleil menace d’arracher
depuis le matin ils regardent ces vingt mètres de terre
poussiéreuse
qui les séparent des balançoires des soldats et des toboggans
et vers les g.i. l’un de ces hommes timidement s’approche
et prudemment s’adresse aux soldats
en anglais
et un soldat répond salut mec c’est quoi ton nom
je m’appelle mohamed
dit mohamed 
je suis professeur de math et je m’intéresse aussi
à l’amérique à l’europe 
je lis vos journaux quand je peux.
cool 
tu as des filles mohamed 
oui quatre filles
très cool 
tu peux aller en chercher deux ou trois pour moi et mes potes 
mohamed sourit
et c’est avec la plus belle volonté du monde qu’il sourit
on dirait qu’il vient de traverser le fleuve avec une barque débordant de fleurs
les fleurs les plus parfumées des jardins de babylone
ce sourire est fixé sur ses lèvres comme
ce bruit sec qui fiche soudain toute la vie d’un oiseau en l’air
mais non on te taquine 
dit le soldat
posant ses outils sur la balançoire du parc
tu préfères parler de georges busch c’est ça  
moi je préfère 
l’oublier 
à cause de lui je vais passer l’été
à transpirer dans ton bled
 pourri
vous êtes venus pour nous aider n’est-ce pas 
ouais on s’en occupe 
bientôt ce sera ici comme au koweit  des villas de luxe
des mercédes des enfants propres et bien habillés
enfin ne rêve pas trop
alors comme ça tu as quatre filles 
et combien d’épouses 
un autre soldat qui porte aussi un gilet pare-balles
des ray ban un casque
avec une caméra qui permet de voir la nuit comme en plein jour
de voir comme en plein jour dans ce pays obscur 
il porte aussi sur son visage les souvenirs d’une enfance
qui s’est déroulée loin de l’amérique
c’est à dire au mexique au pérou en colombie
ce soldat se lamente et gémit partout où je suis allé
dit-il
en corée au salvador aux philippines
j’ai rencontré des filles j’ai passé de bons moments avec elles
avec elles j’ai pu découvrir leurs pays les forêts les montagnes
les plages les rivières les bars les snacks les chambres d’hôtel
mais ici mohamed chez vous
vos femmes
dès que leurs seins commencent à pousser
vous les enfermez jusqu’à ce qu’elles soient devenues grand mères
et c’est pour ça qu’on crève de soif dans ce désert
un autre soldat encore
grand puissant athlétique bronzé
on dirait un joueur de la nba
s’approche de mohamed
et  mohamed le professeur de mathématiques
pense que les unités de mesure ne sont pas les mêmes là bas
et en amérique
pendant les trente ans de cette dictature nous nous sommes tassés
et toutes ces guerres et cette guerre là nous ont encore 
un peu plus 
écrasés
non dieu n’est ni juste ni bon ni aussi beau qu’un théorème
un théorème plein de douleurs et de beauté
poignant comme une pensée qu’on viendrait de dérober au paradis
et qui sèmerait des fleurs dans l’intelligence des hommes
et c’est à ce moment là oui à ce moment là
que ce g.i. s’écrie
allah akbar 
mohamed recule d’un pas mais d’un bond le soldat
est sur lui et avec un sourire désarmant 
toutes les religions c’est de la blague 
dit-il
moi je ne crois en aucune c’est mieux
mon seul dieu c’est la musique country
tu connais  
tu aimes  
dis oui
oui j’aime la musique  d’amérique.
cool tu es mon frère 
viens je vais t’apprendre
à jouer au frisbee
une partie d’homme à homme un dollar le point
non c’est trop un dinar
mohamed est cloué sur place le frisbee dans la main
il n’a pas joué au frisbee
depuis l’éternité il ne savait pas que ça existait.
t’es nul mo 
quand je pense que vous avez essayé de nous faire 
la guerre  
vous savez que vous êtes les soldats les plus nuls 
du monde 
je vous ai observés
pendant trois semaines
vous choisissez toujours le plus mauvais endroit
pour agir 
mohamed rend le frisbee salue tout le monde 
et tente de s’en aller
mais un autre soldat qui était en train de souder une balançoire
remonte ces lunettes de soudeur sur son front  
déplie son grand corps et se relève
c’est un soldat lui aussi beau noir et athlétique
et quand il ne fait pas la guerre peut être court-il
sur les stades du monde entier
ces magnifiques stades que mohamed a vus seulement en rêve
ces stades remplis de gens heureux 
qui agitent des drapeaux du monde entier
pour saluer ceux qui comme lui courent
le 100 le 200 le 400 mètres
mohamed lui dit-il mohamed
ne fais pas attention à lui
reviens quand tu veux mon frère
on discutera politique
avec tes filles"
Voilà qui va nous changer de Jauni l'Allité qui va encore essayer de finir sa tournée d'adieux qui a commencé voilà deux ans déjà.